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Kiosque presse, Paris – Crédit Dolarz
Lorsqu’on ouvre son commerce en ligne, surtout lorsque c’est le premier, on manque d’assurance, on craint de ne pas percer, on est attentif à toutes les remarques, qu’elles soient bonnes ou pas. On est à l’affût de tout ce qui pourrait nous encourager. C’est là qu’entrent en jeu une espèce de vautours, les magazines fantômes de la presse spécialisée… Je vais vous conter mon aventure….
A l’affût des jeunes entrepreneurs
Quelques semaines après l’ouverture de ma première boutique en ligne en avril 2010, je reçois un appel complètement fou ! Un magazine spécialisé destiné aux familles m’apprend qu’ils ont eu un coup de cœur pour ma boutique en ligne ! J’ai du mal à y croire ! Ils m’accordent une remise de 75 % sur une pleine page pub avec une article offert décrivant ma boutique en ligne juste en face ! 2 500 euros seulement pour apparaître dans un magazine tiré à 250 000 exemplaires, et dont les invendus seront distribués aux maternités et aux crèches. Quelle aubaine, quelle chance ! La commerciale m’assure que ces 2 500 euros investis m’en rapporteront le double au moins. En revanche, l’offre ne m’est réservée que 24 heures, car le magazine est en bouclage et doit être imprimé très rapidement.
Je raccroche et éclate de joie : ma boutique plaît ! J’en fais part à mon époux qui émet immédiatement des réserves et me propose de vérifier leurs coordonnées.
Un business bien huilé
Nous tapons dans le moteur de recherche le nom du magazine, et nous tombons sur un site internet digne d’un grand groupe. Une dizaine de magazines spécialisés, des partenaires, des références, des chiffres avec des offres claires et des coordonnées informant que le siège se situe sur les Champs-Élysées. C’est décidé, demain on se lance.
La commerciale du magazine appelle à l’heure convenue et semble débordée. Le téléphone sonne derrière, ses collègues sont également en ligne, on sent l’effervescence due au bouclage de ce numéro spécial. Je suis toute excitée on se rend compte de la chance que nous avons et je donne mon accord. J’ai une heure pour renvoyer le contrat signé. Il faut faire vite, il ne faut pas que ça nous passe sous le nez… Une heure plus tard donc, le tout est envoyé, et j’ai vingt-quatre heures pour envoyer ma pleine page de pub en haute résolution.
Pour le paiement ? Ce n’est pas le plus important. La commerciale est cool. On peut payer en trois fois à partir de septembre. On aura largement amorti d’ici là ! C’est d’ailleurs cette condition qui a motivé notre accord.
Sortie du magazine
Le magazine doit sortir aujourd’hui. Après quelques mise au point avant l’impression, je n’en pouvais plus d’attendre. J’ai préparé mes stocks sur la boutique, je suis au taquet. Je m’habille, mets ma fille dans l’écharpe et direction le centre-ville à pied pour trouver le mag’ chez le marchand de journaux.
J’entre, je cherche, je prends mon temps. Je ne le trouve pas. Zut, ils seraient déjà tous vendus ? Je demande au commerçant et il me dit qu’il n’en a pas. C’est un peu déçue que je rentre et que j’appelle la commerciale. L’impression a pris du retard et il ne sortira que dans quelques jours. Rebelote pendant plusieurs semaines. Jusqu’à ce qu’enfin je reçoive mon exemplaire directement par la Poste.
Leur part du contrat n’est pas respectée
J’ouvre le magazine et tourne les dizaines de pages de ce numéro spéciale à vitesse grand V. Je me fiche du contenu, des autres annonceurs, je veux voir ce que ma publicité donne dans une grande revue… Pas mal ! Mais… en face il n’y a pas d’article consacré à ma boutique ! Je feuillette plus dans le détail et ne trouve pas ce que la commerciale m’a promis, c’est étrange… D’abord plusieurs semaines de retard, ensuite un article fantôme.
J’appelle ma famille, mes amies, et leur dis que ça y est, le magazine est en kiosque ! Je fonce de nouveau chez mon marchand de journaux, qui lui ne l’a toujours pas. Tiens, étonnant. Je lui demande s’il a plus de précisions à me donner quant à ce magazine, il me dit ne pas le connaître. Comment ça ? Il doit faire erreur.
Magazine introuvable
Dans la journée, un à un mes proches m’appellent pour me dire la même chose. Alors que la commerciale m’affirme la sortie du magazine, personne ne le trouve. Il devait être dans tous les kiosques. A présent elle me dit qu’il ne serait en vente que chez certains marchands de journaux. Ma mère étant à Paris pour le travail arrive à le trouver enfin en plusieurs exemplaires dans un grand kiosque gare de Lyon. Ils en ont reçu quinze.
Je ne comprends pas et commence à m’inquiéter. Je me rends à Paris et fais tous les kiosques que je croise. Ils ne connaissent pas ce magazine. Je découvre chez l’un d’eux un magazine du même groupe, mais en un seul exemplaire. Le commerçant ne saura m’en dire plus.
La commerciale quant à elle refuse de me donner la liste des points de vente. Je suis en train de comprendre le bourbier dans lequel je me suis fourrée.
L’heure du paiement approche
Pendant plusieurs semaines, j’ai tenté de mener mon enquête. A part quelques exemplaires ici et là, il semblerait qu’on soit loin des 250 000 exemplaires édités. De plus j’ai découvert différentes anomalies. Ni mentions légales sur leur site en ligne, ni de conditions générales de vente sur le contrat que j’ai signé, la facture ne mentionne ni délai, ni date, encore moins le nombre d’exemplaires qui aurait dû être édités, ni même l’article qui m’était offert… Rien. Comment ai-je pu être si sotte ?
C’est décidé, je ne payerai pas. Je leur envoie une lettre en recommandé accusé de réception (RAR) afin d’anticiper une éventuelle relance. Dans la lettre, je demande tout simplement la preuve du nombre de magazines édités, distribués, la liste des points de vente. Chose que je n’obtiendrai jamais.
Un harcèlement abusif
Suite à cette lettre, je ne compte plus le nombre de coups de téléphones que j’ai reçus de la part de cette femme. Je me souviens de son prénom, de sa voix, deux ans et demi plus tard. Elle fait partie du service recouvrement. Les premiers contacts sont courtois. Elle m’appelle afin que j n’oublie pas de régler ma facture, minant de ne pas avoir reçu de lettre. Je réponds en RAR à toutes leurs relances écrites, ce qui empêche la société de recouvrement de mener à bien mon dossier et les obligent à laisser la main au groupe de presse lui-même.
Au fil des appels, mon interlocutrice devient de plus en plus hargneuse. Elle a un accent que je ne saurais définir, mais mon souffle se coupe dès que je la reconnais en décrochant le combiné. Elle m’appelle plusieurs fois par semaine et ce durant des mois. Je reste toujours courtoise et lui explique à chaque fois que je règlerai si elle m’apporte les preuves que je réclame.
Peine perdue, le seul document qu’elle me fournit par mail est un écrit de l’éditeur assurant que le magazine a bien été édité. Ça ne me suffit pas. Où sont les chiffres ? Tout cela a assez duré. Je décide de prendre les choses en main et de ne pas me laisser faire. Elle menace de venir chez moi, elle m’insulte honteusement, mon mari est parfois obligé de lui répondre et de lui raccrocher au nez car j’en suis incapable. Bref, c’est parti…
Création d’un collectif
Je décide de prendre le peu de magazines du groupe que j’ai trouvés et appelle un à un les annonceurs. Quasiment tous des auto-entrepreneurs. La majorité accepte de me parler. Il y a trois catégories d’annonceurs.
- Ceux qui ne souhaitent pas d’histoires, ayant déjà réglé et souhaitant passer à autre chose, même si la publicité ne leur a rien apporté.
- Ceux qui ne se sont pas posé de questions et sont tout ouïe, commençant à comprendre pourquoi ils n’ont jamais eu de retour et ayant malheureusement réglé la facture et parfois ayant perdu beaucoup.
- Enfin, il y a ceux qui « attendaient » mon appel, étant révoltés par tout ce manège, commerçants n’ayant réglé qu’une partie, ou rien du tout, et se battant depuis parfois plusieurs mois avec cette femme…
Je décide d’entrer dans un tableau tous les contacts, toutes les informations qui pourront nous servir. Tous ont eu 75 % de réduction sur leur emplacement publicitaire et ont été contactés pendant le prétendu « bouclage du magazine ».
Je créé également une liste de mails, afin que l’on puisse commencer à échanger tous ensembles. Il faut réagir. Je découvre les profils des entrepreneurs, tous ont été contactés quelques semaines à peine après la création, ou la reprise d’un e-commerce. Certains ont dû fermer suite à l’escroquerie, l’argent cédé pour les encarts publicitaires étant toutes leurs économies. C’est monstrueux. Après leurs avoir tous conseillé de ne plus sortir le chéquier, je décide d’aller plus loin.
Dossier monté pour la répression des fraudes
Je monte un dossier regroupant mon témoignage détaillé, les papiers, les factures, le magazine, ainsi que les témoignages que j’ai réussi à récolter. J’en ai plusieurs dizaines et suis certaine que ça suffira à la Répression des fraudes pour agir. Pendant ce temps, le harcèlement continue. Mais je ne peux dévoiler mes plans. Alors je répète inlassablement la même rengaine. Je ne payerai pas n’ayant aucune preuve quant à l’édition et la distribution du magazine. Ça met mon interlocutrice hors d’elle, qui menace de venir chez moi. Je ne peux plus répondre au téléphone, je laisse mon mari le faire pour moi.
L’enquête de la Répression des fraudes semble avoir du mal à embrayer. Nous avons tous des coups de fil de leur part afin de nous demander quelques précisions, mais c’est trop long. Certains auto-entrepreneurs commencent à craquer. Les finances de ceux ayant payé deviennent en effet difficiles.
Second dossier chez un avocat
L’un des entrepreneurs craque. Il a tout perdu. Le groupe a réussit à lui vendre pas moins de cinq espaces publicitaires, il en a eu pour plusieurs milliers d’euros quelques semaines seulement après avoir repris une bijouterie en ligne. Il n’a plus rien. Il a pensé, comme lorsqu’on mise et qu’on est sûr de gagner, qu’il récupèrerait le triple, voire plus. Tous ces problèmes l’ont également amené au divorce. Il a décidé de mettre ces dernières économies chez un avocat pour tenter de récupérer quelque chose, ne serait-ce que sa dignité.
Il propose de nous joindre à son dossier, pour un moindre coût. Nous nous greffons donc, je ré-imprime mon gros dossier et envoie le tout à l’avocate. Elle a pour objectif de leur réclamer des dommages et intérêts au-delà des sommes versées par certains.
Aujourd’hui
Plus de deux ans et demi plus tard, les deux dossiers sont toujours en cours. Le groupe ne se présente pas aux audiences des tribunaux. Nous doutons pouvoir récupérer quelque chose, surtout ceux ayant payé.
Cet article est une mise en garde. Ne vous laissez pas flatter. J’ai par la suite travaillé avec des magazines sérieux. Ils ne contactent pas en plein bouclage, ne proposent pas d’offres indécentes et surtout ne demandent pas une réponse dans les 24 h. Vérifiez les mentions légales, les conditions générales de vente, faites un tour dans plusieurs kiosques afin de vérifier la disponibilité de la presse en question… Et si on tente de vous escroquer, ne baissez jamais les bras, ne vous laissez pas intimider. Même si ce groupe met la clé sous la porte, ils recommenceront. C’est à nous d’être vigilants et bien informés.